La Libération de Malaucène (8)

Le petit cordonnier de Malaucène (qui n’allait pas danser...)


Robert Liotaud a 10 ans à la Libération. Il a vécu de 1939 à 1943 dans un sana au Grau-du- Roi : tuberculose osseuse. Il est resté 39 mois couché.


Puis, plus tard, après la guerre, il rechutera, ira à nouveau dans un centre à Vallauris pour se retrouver finalement pendant trois  ans apprenti cordonnier-bottier chez l’Association des paralysés de France à Saint-Clément-des-Levées (près de Saumur). Il en sortira avec le CAP et s’installera dans la Grand’Rue à Malaucène, face à la boulangerie Béroule. C’est alors la vogue de la fameuse chanson du « petit cordonnier qui voulait aller danser » et tous les jeunes qui lui rendent visite dans son atelier toujours ouvert le surnommeront « le petit cordonnier ». Son côté accueillant, son esprit d’ouverture, il l’a certes trouvé dans sa famille, cependant c’est au centre de formation, au contact de gens de tout niveaux et de toutes provenance qu’il dit « avoir mûri » .


Mais Robert a une autre caractéristique connue de tous les anciens : il est né dans une famille communiste, à une époque ou le PC dominait presque la vie politique. Réunion tous les 15 jours chez Callot, le marchand de  cycles sur le Cours. « C’étaient tous des durs, de gros travailleurs et ils résistaient tous, chacun avec ses moyens ».


Jacques Galas, 

3 octobre 2014



Un peu plus de détails


SOUVENIRS 
DE LA LIBÉRATION DE MALAUCÈNE (VIII)
Témoignage d’un enfant du PC

À mon retour à Malaucène en 1943, me voici à l’école primaire. L’hiver nous portions chacun une bûche de bois pour se chauffer et ceux qui habitaient le plus loin sortaient une demi-heure plut tôt.
Un matin, en arrivant, je vois mon nom inscrit au tableau, à l’emplacement des punis. Surpris, je demande au maître, Monsieur Aubert qui était aussi directeur, ce que j’ai fait.
«En venant tu as bien salué Mademoiselle Bréchet (une demoiselle un peu âgée) mais tu ne t’es pas découvert ». Il n’avait tout simplement pas soulevé son béret ! 

La vie sauve grâce à son âne
Nous avons déjà rencontré plusieurs personnes qui nous ont parlé du mitraillage de l’allée des Platanes par un avion allemand.
Robert était au bord de la route, non loin de son jardin et il allait partir en courant vers son cabanon avec toutes les chances d’être tué quand il a décidé de se cacher sous son âne. Ce réflexe l’a sauvé, mais il y avait des traces de balles tout autour de lui. Les trois charrettes au bord de la route brûlaient. « Dans le grand champ de faillots, en face Marcellin, il y avait le Grand Roux et sa femme Carmen et probablement les Pons de l’autre côté de la route. »

Les Miliciens
Mon père n’a jamais eu trop peur des Allemands, mais il craignait beaucoup les Miliciens.
Un jour, ils étaient tous en bande sur la place de l’église. En redescendant vers Malaucène, ils ont rencontré mon père et le chef, un Malaucénien qui connaissait ses idées, lui a dit : « Si vous allez chez vous, restez-y. On viendra faire un tour. » 
Mon père et Paul Colomb sont partis dans la montagne, aux Escourts de Boucher (vers Clairier) avec le fusil de chasse et les chevrotines.
Entre temps, le père Cornillac (le maire) a parlementé avec les Miliciens et ils ont tous disparus. J’ai d’excellents souvenirs du père Cornillac. J’allai le voir avec un petit sac et il me donnait de la farine. Il a sauvé certains Malaucéniens de la faim. »

Avec les Résistants
Un jour, nous ramassions des cerises à la Croix de Florent. Nous avions apporté la biasse. Des Résistants qui étaient sortis vivants de l’accrochage de Vaison arrivent. Ils allaient rejoindre Beyne, leur chef, à Sault. Mon père leur propose de partager leur repas, ce qu’ils acceptent évidemment. 
En partant, ils ont laissé en souvenir à mon père une mitraillette et des chargeurs. À la Libération, le chef de district est venu la lui demander. Mon père a engagé un chargeur et lui a intimé l’ordre de foutre le camp sinon... Il est parti !
La mitraillette existe toujours. Elle est chez un collectionneur de Malaucène qui la soigne très bien...

Le jour de l’accrochage du Barroux, mon père et Paul Colomb y étaient sur les rochers au-dessus du tunnel. Ils étaient seulement armés de leur fusil de chasse et de quelques chevrotines. Ils n’ont pas apprécié que les prisonniers allemands aient été tués aux Papeteries, même si on dit que ça s’est passé lors d’une tentative d’évasion.

Tout doucement vers la Libération
Le jour de la Libération, nous étions entre le magasin de Callot et le café du Casino. Les premiers soldats étaient tous Noirs et j’interrogeai mon père en lui demandant si les Américains étaient tous de cette couleur. Il a  ri un bon coup et m’a dit : « Ça te permettra de te rendre compte qu’il faut pas être raciste.»

Mes parents avaient sortis des drapeaux du PC en tissu qu’ils avaient soigneusement caché dans les lapinières du cabanon. Un hurluberlu m’a piqué le mien et est parti en courant se réfugier dans le café Fourès. Mon père l’a suivi, lui a donné deux baffes et a récupéré mon drapeau.
Plus tard, le long de la route de Vaison, les soldats ont découvert notre jardin. Ils ont mangé toutes les tomates et les carottes. En échange, nous avons reçu  des cigarettes, du lait en poudre et du corned beef.

Et pourquoi pas un peu de politique !
Henri Callot, le meneur du PC à Malaucène, était très gentil et très accueillant. Je crois que c’est après la Libération qu’il a reçu Jean Geoffroy de retour des camps de concentration qui venait lui demander conseil car il voulait s’engager en politique. Réponse de Callot : « Si tu veux réussir, soit ni trop à gauche, ni trop à droite ».
Jean Geoffroy (fils de Joseph qui fut patron emblématique des Papeteries mais qui ne l’était plus à l’époque où nous parlons) fit une très belle carrière comme sénateur de Vaucluse. 
Et son fils a été maire de Malaucène.


LE DIAPORAMA


Robert Liotaud peint par Jacques Chemay